L'honorable Sonia Lebel
Ministère de la Justice
Édifice Louis-Philippe-Pigeon
1200, route de l'Église
9e étage
Québec (Québec) G1V 4M1
ministre@justice.gouv.qc.ca
12 avril 2019
Cher Ministre,
Je vous écris au nom de l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) concernant votre décision de poursuivre l'auteur Yvan Godbout et le rédacteur en chef Nycolas Doucet pour production et distribution de pornographie juvénile. C'est un exercice terrible de vos pouvoirs quasi judiciaires. Il existe des obstacles constitutionnels évidents à une telle censure par le Code criminel, et cette question ne répond manifestement pas à la deuxième branche du pouvoir discrétionnaire en matière de poursuite : ce n'est pas dans l'intérêt public.
L'ACLC est une organisation nationale de défense de l'intérêt public à but non lucratif qui est à l'avant-garde de la promotion et de la protection de la liberté d'expression depuis sa fondation en 1964. L'ACLC a présenté des observations lorsque le Parlement a introduit pour la première fois des infractions pénales liées à la pornographie juvénile et a été impliquée dans toutes les causes importantes de la Cour suprême du Canada qui interprètent les dispositions relatives à la pornographie juvénile. Nous reconnaissons le besoin urgent de protéger les enfants contre l'exploitation et les abus. Cependant, nous avons cherché à faire en sorte que les lois pénales ne soient pas utilisées pour étouffer l'expression, y compris l'expression artistique. Cette poursuite fait exactement cela.
Nous comprenons que la poursuite de l'auteur et de l'éditeur dans cette affaire découle de la description, sur une page d'un roman d'horreur de 270 pages, de l'agression sexuelle d'un jeune enfant. Maintenant que des accusations ont été portées, vous avez sans aucun doute réussi à augmenter le lectorat des livres de manière exponentielle, même si votre accusation suggère que ceux qui les possèdent ont de la pornographie juvénile - et sont responsables en vertu du droit pénal - aux yeux de votre bureau.
Tandis que le Code criminel définition de « pornographie juvénile » comprend des descriptions écrites dont la création n'implique pas de nuire aux enfants, les dispositions doivent être interprétées de manière étroite, comme l'a noté la Cour suprême du Canada dans R. c. Sharpe, 2001 CSC 2. Le matériel doit soit « préconiser ou conseiller une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans » qui constituerait une infraction, ou avoir comme « caractéristique dominante » la description « à des fins sexuelles, d'une activité sexuelle avec une personne de moins de dix-huit ans » qui constituerait une infraction. À condition que notre description ci-dessus soit exacte, il semble clair que le matériel n'est pas destiné à plaider en faveur de l'abus sexuel des enfants. De plus, la Cour a statué que l'expression « à des fins sexuelles » doit être comprise pour déterminer si, raisonnablement perçu, le matériel est destiné à provoquer une stimulation sexuelle pour certains téléspectateurs. Notre compréhension est qu'il s'agit d'un roman écrit dans le genre de l'horreur, et que le passage pertinent n'est qu'une page sur près de trois cents. Dans ce contexte, c'est repousser les limites du raisonnable que de suggérer que le roman est de la « pornographie juvénile » telle qu'envisagée dans le Code.
Nous notons également qu'il existe des défenses aux dispositions relatives à la pornographie juvénile qui, selon la Cour suprême, doivent être interprétées de manière libérale. En particulier, le Code comprend une défense fondée sur la valeur artistique qui, selon la Cour suprême, doit être interprétée au sens large : « Toute valeur artistique objectivement établie, même minime, suffit à étayer la défense. En termes simples, les artistes, tant qu'ils produisent de l'art, ne devraient pas craindre d'être poursuivis en vertu de l'art. 163.1(4). (Sharpe, paragraphe 63)
Cette poursuite pénale est malavisée et nous vous demandons instamment de réévaluer et de revoir la décision à la lumière de ce qui précède, et de retirer autrement les informations. Alors que la violence sexuelle et l'exploitation des enfants sont un mal, la censure gouvernementale l'est aussi. Les artistes ont toujours exploré et exploreront toujours ces sujets dans leurs œuvres. Poursuivre un auteur et un éditeur pour avoir décrit une telle violence dans un roman est contraire à l'intérêt public et fait froid dans le dos dans les communautés littéraires et artistiques. Nous vous demandons de revenir sur votre décision et d'arrêter de censurer la littérature par le biais du Code criminel.
Sincèrement,
Cara Faith Zwibel, LL.B., LL.M.
Directeur, Programme des libertés fondamentales
Lettre au ministère de la Justice du Québec – Poursuites en matière de pornographie juvénile
Costume La version française.
Madame l'honorable Sonia Lebel
Ministère de la Justice du Québec
Édifice Louis-Philippe-Pigeon
1200, route de l'Église
9e étage
Québec (Québec) G1V 4M1
ministre@justice.gouv.qc.ca
12 avril 2019
Madame la ministre,
Je vous écris à la part de l'Association Canadienne des Libertés Civiles (ACLC) au sujet de votre décision d'instituter une procédure à l'encontre de l'auteur Yvan Godbout et de l'éditeur Nycolas Doucet, pour production et distribution de pornographie juvénile. Ceci est un exercice absolument horrible de vos pouvoirs quasi-juridiques. Il existe des interdictions constitutionnelles évidentes à l'encontre de cette censure dans le Code criminel et ceci ne tombe pas bien évidemment sous l'emprise de la discrétion d'un procureur d'intérêt secondaire : il n'y a aucun intérêt public à ce faire.
Notre association, la ACLC, est un organisme national à but non-lucratif et d'intérêt public, qui a toujours mené à bien la promotion et la protection de la libre-expression, et ce depuis notre fondation en 1964. La ACLC a déposé maintes soumissions lors de l'introduction au parlement de lois relatives aux infractions criminelles sur la pornographie juvénile. Outre, nous sommes reçus dans toutes les affaires importantes de la cour suprême du Canada relatives aux dispositions sur la pornographie et sur les abus d'enfants. Cependant, nous avons toujours cherché à assurer que les lois criminelles ne soient jamais utilisées à des fins d'étouffement de l'expression, y-compris de l'expression artistique. Votre poursuite ne semble viser qu'à cela.
Selon nous, toute poursuite judiciaire à l'encontre de l'auteur et de l'éditeur ci-concernés dépend de l'évidence même de la description d'une agression sexuelle sur un enfant de bas âge, figurant sur une page unique sur 270 d'un roman d'horreur. Depuis que ces accusations ont été portées, il semblerait donc que vous ayez promulgué malgré vous la lecture et l'achat de ce livre, même si vos accusations essaient d'impliquer une responsabilité criminelle de la part des usagers du livre aux yeux de votre Bureau.
Bien que la définition de la « pornographie juvénile », selon le Code criminel, n'inclue pas les descriptions qui ne nuisent pas à un enfant de leur création, ces dispositions doivent être interprétées de manière stricte, ainsi que décrété par la Cour suprême du Canada, dans R. c. Sharpe, 2001 SCC 2. Le matériel doit préconiser ou conseiller une activité sexuelle spécifique avec une personne de moins de dix-huit ans, telle activité constituant une infraction, ou qui aurait pour « caractéristique dominante, dans un mais sexuel » une activité sexuelle avec une personne âgée de moins de dix-huit ans et qui constituerait donc une infraction. Étant donné la précision ci-dessus, il semblerait avoir acquis que la lecture du livre ne promulgue en aucune sorte un abus sexuel quelconque d'un enfant.
En outre, la Cour a jugé que la phrase « dans un but sexuel » doit être interprétée comme étant voulue intentionnellement stimuler sexuellement certains lecteurs. Selon nous, le roman en question est écrit dans le genre du roman d'horreur; le passage en question ne constitue qu'une seule page sur presque trois cents. Sur ce, il n'est certainement pas raisonnable de suggérer que l'intégralité de ce roman constituant en fait une « pornographie infantile » quelconque à l'encontre du Code criminel.
Nous notons donc qu'il existe des défenses incontestables contre toutes les dispositions de pornographie infantile interprétées par la Cour suprême. En particulier, le Code permet une défense de mérite artistique, interprétée assez vastement : « Toute valeur artistique objectivement établie, si minime soit-elle, suffit à fonder le moyen de défense. Tant qu'il produit de l'art, l'artiste ne devrait tout simplement pas craindre d'être poursuivi en vertu du par. 163.1(4). (Sharpe, paragraphe 63)
Toute poursuite dans ce sens serait mal dirigée. Nous vous prions fortement de réévaluer votre décision dans cette nouvelle lumière et de vous désister. Bien que la violence sexuelle et que toute exploitation d'enfant soit bien évidemment à tort, toute censure gouvernementale l'est bien sûr de même. Les artistes ont toujours exploré et exploreront toujours ces sujets de part leur œuvre. Emmener en justice un auteur ou éditeur pour avoir illustré telle ou telle violence dans le contexte d'une œuvre romancière est de fait contraire à l'intérêt public, et ce envoyer un frisson de part la communauté littéraires et artistique. Nous vous demandons donc de revenir sur votre décision et d'arrêter de censurer la littérature par le biais du Code criminel.
Bien sincèrement à vous,
Cara Faith Zwibel, LL.B., LL.M.
Directrice, programme des libertés fondamentales, ACLC
À propos de l’association canadienne sur les libertés civiles
L’ACLC est un organisme indépendant à but non lucratif qui compte des sympathisant.e.s dans tout le pays. Fondé en 1964, c’est un organisme qui œuvre à l’échelle du Canada à la protection des droits et des libertés civiles de toute sa population.
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